Mis à jour Jeudi 06 septembre 2007







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Lettre ouverte

Par Gilles de Chezelles,
consultant, A&G Project Management,
et membre du groupe "dématérialisation des marchés publics", Mission pour l'économie numérique, ministère des Finances.
www.dechezelles.fr

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L’élection ne fait pas bon ménage avec le vote électronique. Elus locaux, ne cédez pas aux arguments fallacieux des fabricants de ces “ordinateurs de vote”

Décrié par les uns, encensé par les autres, le vote électronique a fait son entrée dans le paysage électoral français lors de ces dernières élections, toutefois la seule vraie question qui se pose est de savoir si nous pouvons confier notre démocratie à des machines… Et ce n’est pas parce que la décision d’avoir recours au vote électronique est entièrement entre les mains de nos élus locaux que nous ne devons pas, en tant que citoyen, tout faire pour protéger notre démocratie.

Mise à mal des principes du vote démocratique 
Le “vote électronique” regroupe l’ensemble des solutions permettant au citoyen de voter en utilisant un appareil électronique et/ou informatique. Il regroupe aussi bien le vote par Internet que le vote à partir d’un téléphone portable, d’un PDA ou par l’intermédiaire d’une “machine à voter”.
Aujourd’hui, en France, seul le vote électronique avec une “machine à voter” installée dans un bureau de vote est autorisé, cette machine remplaçant à la fois l’urne, l’isoloir et le bulletin de vote.
Une élection démocratique, au sens de nos valeurs françaises, se doit de respecter trois principes fondamentaux : le secret absolu de chaque vote, la transparence globale du scrutin et enfin, et peut-être même surtout, la possibilité à l’échéance de vérifier le scrutin autant de fois que nécessaire.
Le secret absolu du vote implique que chaque citoyen puisse s’isoler dans un lieu lui assurant un vote sans aucune contrainte. C’est pour cette raison que le vote à distance, de type Internet, ne devrait pas pouvoir être utilisé dans le cadre d’élections démocratiques.
La transparence du scrutin permet à chaque électeur de pouvoir contrôler et donc comprendre l’intégralité des mécanismes et des opérations mises en œuvre dans l’enregistrement et le traitement des votes. Avec les “machines à voter” nous sommes dans une situation où la population entière d’un pays doit accepter “aveuglément” d’accorder sa confiance à un très petit groupe de techniciens.
La possibilité de vérifier le scrutin permet, en cas de doute lors d’un premier comptage, de vérifier les votes de façon contradictoire, c’est-à-dire par des moyens différents de la solution utilisée lors du premier comptage, ce qui est impossible avec les “ordinateurs de vote” car ceux-ci empêchent la moindre double vérification des bulletins.
 
Le mot “scrutin” vient du mot latin “scrutinium” qui signifie “action d’explorer minutieusement”, ce que ces nouvelles machines ne permettent plus…
Comment se fait-il que, dans le pays des “droits de l’homme”, le Conseil constitutionnel ait approuvé et agréé des “machines à voter” dont le principe ne respecte pas les règles fondamentales de transparence et de vérification des scrutins ?
Par ailleurs, il est intéressant de noter que la confiance de chacun dans les “machines à voter” est inversement proportionnelle à leurs compétences informatiques. De nombreux informaticiens, qu’ils soient “amateurs” ou “professionnels”, sont contre car ils y entrevoient souvent des moyens de détourner tout ou partie des votes avec les conséquences que l’on peut imaginer sur le scrutin final ...

Risques de malversations 
Sans être complètement paranoïaque, il faut bien convenir que plusieurs axes de “falsifications” pourraient être explorées par des “hackers” ou des personnes malveillantes.
On peut citer, par exemple, le fait que la confidentialité du vote de chacun d’entre nous pourrait être remise en cause en analysant, durant le vote, des radiations que tout système électronique émet.
Dans le même registre, il semble tout à fait envisageable, par une simple liaison radio, de charger des informations dans l’un ou l’autre des composants des “machines à voter”, ce qui reviendrait à “bourrer” l’urne avant le vote.
Par ailleurs, en utilisant une application de type “cheval de Troie”, il pourrait tout à fait être possible d’enregistrer, à l’insu de chaque votant, le couple “nom du candidat/empreintes digitales” identifiant ainsi le vote de chacun d’entre nous...
Enfin, et pour ne rien arranger, durant la longue période de stockage des machines, il n’est pas du tout impensable que des individus malveillants y introduisent un programme qui aurait pour finalité de modifier les votes afin de faire gagner tel ou tel candidat... Et, faute de trace matérielle pour le recomptage, cette fraude pourrait ne jamais être décelée…

Arguments fallacieux
Mais, allez-vous me dire, on nous affirme que les urnes électroniques sont économiques, fiables, rapides, permettent de préserver l’environnement en économisant le papier des bulletins de vote…
En fait, c’est oublier bien vite qu’elles consomment de l’électricité, au contraire d’une simple urne en Plexiglas. Mais ce n’est pas tout du point de vue écologique, en effet les “machines à voter” sont composées de matériaux électroniques et de batteries, l’ensemble étant, comme chacun le sait bien, des produits hautement polluants tant lors de la fabrication qu’en fin de vie, et surtout, en tout état de cause, beaucoup plus polluants que de simples bulletins de vote en papier recyclé…
On nous a également expliqué que cela permettrait de gagner du temps lors du vote, en fait cela s’est révélé totalement faux du simple fait de la présence d’une seule machine à voter là où avant il y avait plusieurs isoloirs, ceci s’expliquant par la différence du prix d’une “machine à voter” par rapport à de simples rideaux…
On veut aussi nous faire croire que ces machines sont économiques, c’est oublier bien vite que, comme tout matériel électronique, elles doivent être stockées dans des lieux climatisés et surtout sous surveillance afin d’éviter toute intervention “suspecte”.
De plus, comment ne pas être affolé, en tant que contribuable, par les nombreux coûts indirects comme celui des informaticiens qui, avant chaque tour d’une élection, doivent intervenir pour “préparer” chaque “machine à voter”.
Enfin, en cas d’incident, seuls les techniciens associés aux fabricants des machines ont la possibilité d’interpréter le contenu électronique d’une “machine à voter”, ce qui est totalement contraire au principe du “contrôle citoyen” indispensable dans une démocratie.
Contrairement aux “machines à voter”, une urne transparente ne s’use pas, se stocke facilement, ne se démode pas, ne peut être “bourrée” à l’avance, ne demande aucune remise à jour technique et ne nécessite aucune procédure de mise en service. De plus, mettre son bulletin de vote dans une enveloppe puis dans l’urne est un geste bien plus responsable que d’appuyer sur un bouton...
Aux armes citoyens ! Faisons tous pression sur nos élus pour que, au nom de la technologie, ils ne confient pas notre démocratie à quelques informaticiens.

© Le nouvel Economiste - n°1398 - Du 6 au 12 septembre 2007